Le Feu follet by Pierre Drieu la Rochelle

Le Feu follet by Pierre Drieu la Rochelle

Auteur:Pierre Drieu la Rochelle [la Rochelle, Pierre Drieu]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Romans
Éditeur: Ebooks libres et gratuits
Publié: 2016-09-16T22:19:21+00:00


Quelques moments plus tard, Alain et Dubourg marchaient côte à côte entre la Seine et les Tuileries. Ils étaient tristes et amers.

Dubourg voyait que l’occasion de sauver Alain était passée. Il se disait que s’il avait été bien imbu de lui-même, il se serait jeté sur Alain avec brutalité ; il l’aurait insulté, saccagé. Il lui aurait crié : « Tu es médiocre, accepte ta médiocrité. Tiens-toi à l’échelon où la nature t’a placé. Tu es un homme ; par le fait de ta simple humanité, pour les autres, tu es encore inappréciable. »

Mais il n’était pas de taille à traiter ainsi un Alain. Et d’ailleurs, Alain était-il médiocre puisqu’il était irremplaçable, inimitable ? Ne fallait-il pas plutôt prendre le parti de le louer ? Il y avait dans cet homme perdu un ancien désir d’exceller dans une certaine région de la vie, que l’applaudissement aurait pu redresser…

Mais Dubourg aussitôt devait reconnaître qu’il ne pouvait aller loin dans cette direction.

Il ne pouvait guère admirer Alain, encore moins l’approuver. Il en revenait donc à son premier regret. Ne pouvant admirer Alain, il aurait fallu pour cela qu’il fût plus grand. À travers la déchéance d’Alain, il apercevait sa défaite.

Quant à Alain, il savait qu’il voyait Dubourg pour la dernière fois. L’attitude de Dubourg, entre autres prétextes, lui donnait toute raison de mourir : la vie à travers lui n’était point parvenue à se justifier. Elle avait montré un visage gêné, grevé de réticences, tourmenté d’impuissantes allégations.

Les deux amis marchaient le long de la Seine. La rivière coulait grise, sous un ciel gris, entre les maisons grises. La nature ne pouvait être, ce jour-là, d’aucune aide aux hommes : les pierres carrées s’amollissaient dans l’air humide. Dubourg frissonna ; cet homme qui marchait à côté de lui n’avait rien pour se soutenir : ni femme, ni homme, ni maîtresse, ni ami ; et le ciel se dérobait. Peut-être était-ce sa faute ; comme il n’avait jamais appris à compter sur lui-même, l’univers, privé de noyau, ne montrait autour de lui aucune consistance.

Une femme les croisa, jolie et élégante. Elle jeta sur eux un bref coup d’œil : Alain lui plut. Dubourg sourit et secoua le bras d’Alain.

— Tu vois, on a envie de la toucher. Paris, c’est comme elle ; la vie, c’est comme elle. Un sourire, et ce ciel gris s’éclaire. Cet hiver, nous irons ensemble en Égypte.

Alain secoua la tête.

— Tu te rappelles…, commença Dubourg.

Alain s’arrêta et frappa du pied.

— Tu radotes.

Ils s’étaient ébattus dix ans sur les bords de cette rivière : toute leur jeunesse, pour Alain toute sa vie.

— Je ne veux pas vieillir.

— Tu regrettes ta jeunesse, comme si tu l’avais bien remplie, laissa échapper Dubourg.

— C’était une promesse, j’aurai vécu d’un mensonge. Et c’était moi le menteur.

Disant cela, Alain regarda la Chambre. Qu’était-ce que cette façade de carton, avec son ridicule petit drapeau ? Et puis, autour, ce flot de roues ?

— Où vont-ils ? C’est idiot, grinça-t-il.

— Mais ils ne vont nulle part, ils vont. J’aime ce qui est, c’est intense, ça me déchire le cœur, c’est l’éternité.



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